1er novembre. Top départ ! Ma plume quitte ses talons pour enfiler ses bonnes vieilles baskets. La semelle est déjà bien usée mais elle ne craint pas la longue route qui l’attend.
La route de novembre. Celle qu’ont décidé d’emprunter des milliers d’écrivains du monde entier.
La route du marathon. Au top départ, nous sommes tous là avec nos plumes acérées, enthousiastes, timides, rodées, impressionnées, impressionnantes. La route sera longue.
Nos plumes devront courir pendant un mois durant.
La route ? Quelle route ? Celle du Nanowrimo.
Ce challenge de fou qui consiste à écrire 1667 mots par jour pendant 30 jours. 1667.
A trois ans près, on aurait pu finir brassés dans le sillage de cette belle vieille blonde pétillante qui enivre les âmes perdues dans les troquets alsaciens. Oui, perdue, me voilà perdue sur cette route 67. Allez, encore ! A un chiffre près, j’aurais fini dans la poussière ocre et piquante de cette mythique ligne américaine gardée par les « Muffler Men », ces gentils géants. Ces monstres qui veillent sur vous.
Comme Gulliver, j’emprunte donc la route du Nanowrimo. Ma plume dans mon sac à dos, mon carnet en main et des idées plein la tête. 30 jours pour écrire. Ecrire mais quoi ? Je fouille dans mon sac en cuir et tombe sur elle. Lily Brooks. Sérial-killeuse en devenir. Je la retiens captive depuis trois mois déjà. Il est temps pour elle de sortir. Je lui explique qu’elle n’a rien à craindre, que je prendrai bien soin d’elle. Je la sortirai tous les jours et nous parcourrons ensemble les 1667 km quotidiens.
Ça la branche bien. Enthousiastes comme jamais, nous sillonnons les lignes de mon carnet. Que de découvertes, que de bons moments, que de rencontres. Mais, à ce rythme, très vite le carnet se remplit. Comme faire, si nous ne pouvons garder de traces de notre avancée ? Alors, pour ne pas nous perdre, nous empruntons les chemins électriques de Scrivener. Mégapole tentaculaire aux premiers abords mais qui se révélera être la ville qu’il nous fallait. Nous consignons donc toutes nos aventures dans cette cité de la création. Et ça carbure, on ne nous arrête plus. 1667 mots par jour ? Une broutille.
Les semelles de ma plume ne s’usent pas, elles volent littéralement sur le bitume de l’écriture. Ma plume fonce, s’emballe parfois. Elle découvre de nouveaux lieux, croise de nouveaux personnages, intrigants, attachants. Certains, ne finiront pas le chemin, elle le sait. Car ils auront eu le malheur de croiser Lily Brooks. Nous les laissons sur le bas-côté, dans ce fossé de poussière à la merci des vautours ou des touristes en quête de sensations. Peu importe, nous continuons. Puis, la route devient de plus en plus cabossée, esquintée. Il devient difficile parfois de parcourir nos 1667 km. Alors nous faisons une pause dans un vieux Motel miteux où les cafards ont élu domicile. Il y en a un surtout qui s’amuse à me ronger l’esprit pendant mon sommeil.
Le cafard de l’écrivain.
Il se loge dans mes idées, dans mes notes intérieures, dans mes gribouillis inconscients pour ronger ma plume jusqu’à la moelle.
Ma plume, la pauvre. Moi, qui avait promis de la chérir, de toujours la laisser sourire sous mon geste créatif. De ne jamais la torturer. Et me voilà à courir avec elle sur cette route qui ne me ressemble plus.
Nous sommes au 22ème jour. « 22, v’là les flics » ! Embarquez-moi, j’ai pas respecté ma conditionnelle ! Nous aurions dû parcourir les 40 008 mots officiels. Mais je regarde le compteur de Scrivener. Il indique à peine 25 018. La loose. C’est ce que je ressens. Aors je sors de mon lit (oui j’étais allongée depuis plusieurs jours, j’avais chopé un sale virus qui te mine les neurones, les plumes et les muscles). Bref, je me lève et me dirige vers la fenêtre. La vitre est crasseuse, comme mon âme d’écrivain. Je l’essuie de ma manche, qui devient crasseuse à son tour. Fausse bonne idée. Je la retrousse pour ne pas infliger à mes yeux embués, la couleur de l’échec. Je pleure, et sous leurs sages lunettes d’intello, mes yeux suent de douleurs. Alors je les essuie avec ma manche. Merde, fausse bonne idée. Mes yeux me brûlent. Mais ce n’est qu’illusion, ce n’est pas la poussière poisseuse de la vitre qui m’irrite mais ce que je n’arrive plus à voir à travers elle.
Le bonheur d’écrire.
Sur la route du Nanowrimo, devant le Motel de la perdition dans lequel j’ai élu domicile, je cherche les nanowrimos encore en lice. Les voilà ! Qu’ils sont beaux ! Je pense à ceux qui entament cette course pour la première fois comme moi. Ceux qui connaissent déjà le chemin et saluent au passage de vieilles connaissances. Et puis, ceux qui écrivent à quatre mains. La vache ! A quatre mains. J’ai déjà du mal avec la mienne. Mon poignet me fait mal. Il n’a pas écrit depuis des jours, qu’a-t-il à me gonfler ? Il les voit passer et voudrait les suivre. Prendre la route avec eux. Nous l’avons fait 22 jours durant.
22 jours de pur bonheur. 22 jours de créativité, de folle écriture ! 22 jours durant lesquels l’encre de ma plume a transpiré comme jamais. Les courbes de mes mots chopaient des courbatures mais elles carburaient à l’énergetic-ink ! Super boisson d’écrivain inspiré. Lily Brooks et moi en avons croisés des personnages sur cette route. Éric, le satané chef de service. Henriette, la petite vieille coquette. Teddy et sa tasse de café et bien d’autres.
Lily Brooks. Ma sérial-killeuse. Elle n’a jamais été aussi heureuse. Elle l’est toujours ! Le plaisir des gens comme elle ne meurt jamais.
Mais celui de l’écrivain, elle y a pensé ? Mon plaisir. Le plaisir d’écrire, s’il meurt, elle meurt aussi ! Elle est mon personnage, elle m’appartient. Alors, elle attend. Sous le porche de ce vieux motel, elle traîne. A côté d’elle, un distributeur automatique de boissons fraîches. Elle se laisserait bien tenter mais on est en plein mois de novembre, bordel ! Ce n’est pas du soda caféiné qu’il faudrait mais une bonne verveine. Car c’est à l’infusion que je carbure. Elle le sait, elle a besoin de moi, elle doit garder ma plume sous la main si elle veut continuer à vivre.
Alors elle entre dans la cuisine du motel. Elle fouille dans les tiroirs, quel bordel. Et enfin tombe sur le petit sachet d’herbes sacrées. Ma chère verveine. Lily monte les escaliers. Elle entend le bois des marches usées craquer sous ses pas tranquilles. Elle prend son temps pour ne pas renverser mon doux breuvage. Prendre le temps. La fumée qui infuse aurait-elle déjà fait son effet sur ma tueuse ? Elle entre dans la chambre. Me tend la tasse ébréchée. Je porte mes lèvres sur son rebord et me laisse enivrer par la saveur du bonheur. La saveur du temps. Et là, je revis !
Me voilà, à ressentir la fibre qui m’anime, celle de l’écriture heureuse !
Ne sous-estimez jamais la puissance d’une bonne vieille verveine ! Ma plume reconnait cette douce odeur. Celle qui annonce qu’elle va passer à table et se régaler. Mon carnet m’attend. Je l’ouvre délicatement, comme on poserait une serviette sur ses genoux, et annonce le menu :
Mangeons ce qui se présente à nous. A table, il y aura de nouvelles saveurs, des invités surprises, des moments d’attente entre deux plats. On entendra en cuisine le doux mélange de l’inox et du bois. On se laissera guider par ces odeurs enivrantes. Et si certains jours, sur cette table, il n’y aura rien à manger, peu importe ! On ira manger ailleurs. Car oui, partout, il y a de quoi rassasier l’appétit féroce de l’écrivain.
En quittant la route du Nanowrimo, je redécouvre enfin mon univers. Celui de l’écriture et de la lecture. Celui de l’observation, celui des temps morts en surface. Celui du temps de la plume. Ce temps qui passe d’une époque à l’autre, d’un rythme à l’autre. Mon rythme.
Nanowrimo, je t’aime.
Parce que c’était toi, parce que c’était moi. Parce que tu as su éveiller en moi cette folle frénésie de l’écriture quotidienne. Cette capacité insoupçonnée à écrire à toute berzingue sans se soucier des retours à la ligne ou des coquilles. Parce que oui, tu m’avais prévenue Nanowrimo chéri, avec toi, on speed ! Et j’ai aimé ça. Mais un temps. Car, à force de courir sur cette ligne droite, j’ai oublié le reste. Et puis, j’avoue que mon plan de départ n’était pas si ficelé que ça. Tu me faisais confiance, Nano. Je devais étaler mon scénario. Mais au fil du chemin, mes personnages se sont perdus, mes intrigues se sont pris les pieds dans les cordes tendues que j’avais tissées.
Et oui, putain ! J’arrive à un carrefour sur cette route de l’écriture, où je dois faire un choix. Continuer, juste pour atteindre les 50 000 mots officiels et écrire un truc bancal qui me prendra trois plombes à réécrire ? Ecrire sans tenir compte du souci du détail, si cher à ma sérial-killeuse préférée ? Au risque de finir entre ses mains, à force de la décevoir ? Où devrais-je ralentir la course ?
La verveine coule dans mes veines d’écrivain
Je n’y peux rien. Quand j’écris, je suis du genre à devoir infuser. J’aime ce petit sachet qui plonge lentement dans ce bain chaud. J’aime les petits grains sucrés, mon pêché mignon, qui chatouillent mon palais et font exploser mon imagination !
Aujourd’hui, en ce 24ème jour de Nanowrimo, je plante mon sachet de verveine sur le bord de la Nano route. Je la quitte en espérant qu’un jour, ma verveine poussera sur ce chemin extraordinaire. Peut-être, l’an prochain, je reviendrai ici et verrai une belle herbe sauvage. Alors, les écrivains de passage, comme moi, cueilleront ses jeunes pousses et seront fous de saveurs ! Nous boirons ce délictueux breuvage hors-la-loi, ici, dans le monde du marathon des mots. Nous gueulerons haut et fort notre rébellion, je serai peut-être une Nano Rebelle. Qui sait ?
Quoiqu’il en soit, j’évoquerai avec bonheur et nostalgie, mes rencontres. Celle de ces écrivains qui m’ont tenu et tendu la main durant cette longue course. Je pense à tous ces amoureux du livre et de l’écriture qui se sont lancés ce défi. Certains sont encore en chemin. Je les suivrai de loin mais avec un œil attentif et admiratif.
Je les remercie et leur souhaite bonne route !
Je finirai par une citation de Doc Emmett Brown :
« la route ? Là où on va, on n’a pas besoin…de route »
Et oui, c’est fini. Quoi ? Même pas un petit mot sur Montaigne ? Avec un titre pareil, on s’attendait un minimum à parler du grand poète ! Ben, non ! Méfiez-vous des titres comme des quatrième de couv’, on ne sait jamais ce qui se cache à l’intérieur de nos têtes d’écrivains. Et un conseil, ne prenez pas le risque de comprendre…
ps : j’ai écrit plus de 1667 mots, là ! Nanowrimo, je t’ai dans la peau ?